La bâtarde bourguignonne n’est ni plus ni moins qu’une gothique régionale, au même titre que la Rotunda ou la Fraktur. Et c’est précisément ce qui la rend si intéressante à étudier.

Celle-ci en particulier, parce que c’est mon style de calligraphie préféré.

Le terme bâtarde est souvent utilisé en calligraphie pour désigner des écritures hybrides : soit à mi-chemin entre deux styles, soit entre une écriture formelle (dite « du livre ») et une écriture plus informelle ou cursive. La bâtarde bourguignonne est donc une gothique textura simplifiée : sans apex ni empattements, plus gracieuse, avec moins de brisures. Elle est plus rapide à exécuter, plus souple et étonnamment plus lisible — on revient presque vers une forme de Caroline.

Cette écriture, apparue à la fin du XVᵉ siècle, a été choisie par Charles le Téméraire, dernier duc de Bourgogne. Ce seigneur, l’un des plus puissants et des plus riches d’Europe, régnait alors sur un vaste territoire allant de la Bourgogne aux Flandres. Pour magnifier sa splendeur, il commanda à Gand un manuscrit somptueux, considéré comme le plus bel exemple de bâtarde bourguignonne — ou flamande, donc.

Fait important : les livres de comptes montrent qu’un tel ouvrage mobilisait plusieurs artisans spécialisés — pour la transcription, l’enluminure, les illustrations et la reliure. En feuilletant ce manuscrit (heureusement numérisé sur Gallica), on constate que plusieurs copistes ont travaillé en parallèle, probablement avant les étapes d’ornementation. Ainsi, au fil des pages, malgré une volonté de cohérence stylistique, on remarque de fortes variantes — sur les a, les q, ou les d, par exemple.

Le manuscrit, Les Faits et gestes d’Alexandre le Grand — qui parle en réalité du duc de Bourgogne — est exceptionnel à plus d’un titre. Écrit en vieux français, c’est un roman dans tous les sens du terme.

L’exemple de la bâtarde bourguignonne — aussi appelée gothique bâtarde ou bâtarde flamande — montre comment une écriture peut être créée ou utilisée comme un outil d’influence. Et comment une simple « bâtarde » peut, par le prestige qu’on lui accorde, devenir une écriture majeure.

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